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La bataille pour des médias libérés du „politiquement correct” a commencé: Le bouillant sociologue genevois Uli Windisch entend jouer un rôle majeur en Suisse romande.
Par Helen Brügger

Le site de Uli Windisch, „Les observateurs.ch”, a donné le ton dès sa première publication: une attaque en règle contre Jean Ziegler, l’adversaire de Windisch depuis toujours. Mais Windisch n’a pas des buts aussi modestes qu’un site web, son projet est une croisade annoncée au niveau national, avec comme appui principal la MedienVielfalt Holding de Tito Tettamanti. Cette Holding, créée juste avant la fin de l’année 2011, a comme but, selon le registre du commerce, le soutien à la diversité des médias, y compris par l’achat, l’administration ou la vente d’entreprises nationales et internationales, surtout dans le domaine de la presse. La holding est actionnaire à cent pour cent de la „Basler Zeitung”, et elle a pris une participation importante dans la plateforme multimédia „Les observateurs.ch” de Uli Windisch.
Windisch? Il n’est pourtant ni journaliste ni éditeur, mais sociologue et directeur du Programme du Master et de l’Ecole Doctorale en Communication et Médias à l’Université de Genève. Un des confrères de Windisch, le sociologue lausannois Philippe Gottraux, spécialiste des courants de pensée nationaux conservateurs, a un avis bien pointu sur ce que représente le sociologue genevois: „Ce qui me frappe, c’est la facilité de Windisch à être consacré par ­certains médias comme expert, sur la base de son positionnement académique. Et ce malgré la supposée orientation ,à gauche’ des médias qu’il se plaît à dénoncer. En ce sens, son discours cautionne intellectuellement depuis bientôt dix ans la montée de l’UDC, sous couvert d’analyse et de savoir sociologique.”
Ce n’est donc pas un hasard si Windisch s’intéresse de près à la MedienVielfalt ­Holding. C’est que Uli Windisch, depuis longtemps, caresse l’idée d’un média qui ne se laisserait pas intimider par ce qu’il appelle „les réflexes conditionnés du genre autoculpabilisation, autoflagellation, bien-pensance et autres politiquement correct”, comme il l’écrit dans le „Nouvelliste” du
8 janvier 2008. A la MedienVielfalt Holding, il participe à hauteur de moins de 5 pour cent, mais il s’agirait quand même de la coquette somme d’un million de francs, selon le journal alémanique „Der Sonntag”. Autant que verserait son riche co-Romand, le financier genevois Stéphane Barbier-Mueller. Windisch, en plus, a l’honneur de siéger au conseil d’administration de cette holding.
En principe, ce média qui aurait dû dire „non à la volonté d’intimidation de la bien-pensance envahissante” aurait pu être le „Nouvelliste”, qui ouvrait largement ses colonnes au sociologue. Longtemps noyau dur des conservateurs valaisans, le „Nouvelliste” était, après une brève période d’ouverture, revenu à une ligne plus proche des chrétiens conservateurs et nationaux conservateurs valaisans. Ceux-ci avaient même réussi à amener dans l’actionnariat l’éditeur français philippe Hersant, connu pour ses opinions marquées à droite, et à installer un comité éditorial, histoire de sauver la rédaction des tentations du diable „politiquement correct”.

Hersant réticent. Mais les choses ne se passèrent pas comme cela. Dès la première séance de ce comité de chaperons idéologiques, Windisch se serait fait signaler par Philippe Hersant en personne que le comité ne serait pas un outil pour influencer la rédaction. Hersant, paraît-il, a ainsi ­permis au „Nouvelliste” de ne pas connaître le sort de la „Basler Zeitung”. Il est vrai que Hersant n’a pas, comme Tettamanti, un Christoph Blocher sous la main qui cautionne le journal en garantissant les pertes éventuelles de son imprimerie. Un journal bien ancré régionalement est, jusqu’à nouvel avis, un investissement plus rentable qu’une aventure journalistique sous influence politique.
Depuis ce moment, concrètement depuis le mois de septembre 2009, les contributions de Windisch au „Nouvelliste” se font rares, même s’il peut encore compter sur des amis sûrs dans ce journal, en premier lieu le rédacteur en chef Jean-François Fournier, mais aussi deux autres Fournier: Jean-Marie Fournier, promoteur de la station de Veysonnaz et président du conseil d’administration du „Nouvelliste”, et son cousin Jean-René Fournier, conseiller d’Etat PDC valaisan. Mais Windisch doit trouver un autre haut-parleur en Suisse romande, et il veut pour cela lancer un titre comme la „Weltwoche”. Il sollicite le parrainage de Christoph Blocher, mais celui-ci va doucher ses espoirs: Trop cher pour un marché trop petit.
Windisch ne baisse pas les bras et prépare une plateforme multimédia, „Les observateurs.ch”. Et cette fois-ci, c’est le jackpot: Tito Tettamanti est d’accord de participer financièrement. Le montant de cette „participation importante” n’est pourtant pas révélé, et Windisch ne veut faire aucun commentaire, ni sur la hauteur de son engagement à la MedienVielfalt Holding, ni sur celle de cette dernière dans l’entreprise Windisch Media Prod. Les thèses qui vont être traitées dans cette plateforme sont pourtant prévisibles: la croisade contre „les élites”, contre la „classe politique”, contre les „incivilités”, et pour certains contre l’islam… Bref, contre ce „gauchisme mou, droit-de-l’hommisme fade et bien-pensance conformiste” décrits avec ironie par „L’Hebdo”, qui étoufferaient les „esprits libres”.
Etouffé? Rien n’est moins sûr. Uli Windisch, pour commencer par lui, est convoqué fréquemment par des médias comme „expert”. Il publie des livres chez des éditeurs acquis à la cause comme „L’Age d’Homme” du défunt Vladimir Dimitrijevi´c, lui-même proche de l’éditeur Slobodan Despot, l’auteur d’une biographie très admirative du conseiller national UDC Oskar Freysinger. Autour de Windisch, une nébuleuse de personnes qui se plaisent à décrier la „bien-pensance” des médias: Philippe Barraud („commentaires.com”), Pascal Décaillet (Léman Bleu), Marie-Hélène Miauton, fondatrice de l’institut de recherches économiques et sociales M.I.S. Trend et chroniqueuse au journal „Le Temps”. Si l’un d’eux se fait attaquer par les tenants du „droit-de-l’hommisme”, les autres volent à son secours. Et voilà comment, mutuellement, ils se posent en victimes ou s’encensent comme héros intrépides de la liberté de penser. Exemples? „Voilà donc Uli Windisch au centre de la cible, la lapidation peut commencer” (Barraud sur Windisch). „C’est un géant étrangement débonnaire (…) un homme seul, un homme libre” (Décaillet sur Despot). „Oskar Freysinger est à n’en pas douter l’astre le plus insolite de la constellation politique suisse” (Despot sur Freysinger). „Comme tout chroniqueur qui ose, Mme Miauton est truffée d’ennemis. C’est bien la preuve de son talent” (Décaillet sur Miauton).

Intellectuels. En Suisse romande, les thèses de cette droite-là semblent, pour l’instant, davantage l’apanage des intellectuels que des hommes d’affaires ou des banquiers. Alors qu’à Bâle, c’est un ancien de la Swiss First Bank en personne, le banquier UDC Thomas Matter et sa „Neue Helvetische Bank”, qui a monté le volet financier de la MedienVielfalt Holding au capital impressionnant de 40 millions… Windisch et ses collaborateurs auront-ils du succès? Rien n’est moins sûr. A entendre Tettamanti (interview en page 6), ni la Suisse ­romande ni Windisch ne semblent se situer au centre de l’intérêt du financier tessinois.



Peu loquace
Uli Windisch est plus loquace sur la nécessité de la lutte contre le „Politiquement correct” qu’en ce qui concerne les financements de son site web. Il dit avoir rassemblé 450 000 francs pour deux ans et demi et être soutenu par une dizaine d’actionnaires dont Tito Tettamanti. Il a deux collaborateurs: Olivier Grivat et Philippe Barraud. En ce qui concerne le financement, Windisch élude la question posée par Darius Rochebin. Au téléjournal du 1er février, ce dernier voulait savoir si Christophe Blocher était actif dans l’actionnariat de la plateforme. Pirouette de Windisch: „Il faudrait parler du contenu, de la nécessité des sujets …” HB

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