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StartseiteArchivEDITO 05/09EDITO 05/09 F

Les journaux licencient? Ils engagent. Les titres mettent la clef sous la porte? Ils se lancent. Les articles sont toujours plus courts? Ils osent remplir des pages avec un seul sujet. Les magazines „Books” et „XXI” remontent le courant, la tête hors de l’eau. Pour l’instant. Comment font-ils?
Par Guillaume Henchoz

„XXI”, une revue qui renoue avec la tradition du reportage
Genèse. „XXI” est le fruit de la pugnacité et de l’enthousiasme d’une personne en particulier: Patrick de Saint-Exupéry, reporter qui a couvert de nombreux conflits en Afrique. Le journaliste part d’une réflexion qu’il partage avec Laurent Beccaria, des éditions les Arènes: „Le journalisme répond de plus en plus à la logique de l’immédiat. Moins de place pour écrire dans les journaux, moins de temps pour enquêter. Les journalistes, quand ils ont des choses importantes à dire, se replient maintenant vers la rédaction d’enquêtes sous forme de livres qui se déclinent sur un temps beaucoup plus long.” C’est fort de ce constat que commence à s’ébaucher la revue „XXI”: permettre à des reporters de prendre le temps d’enquêter et d’écrire.

Concept. „XXI” prend en effet le contre-pied des journaux gratuits: les articles sont fouillés, les enquêtes et le reportage sur le terrain y sont privilégiés. „XXI” met l’accent sur des histoires bien écrites aux angles originaux et qui n’ont pas été traitées dans d’autres médias. En anglais cela porte un nom. On parle de „narrative writing” pour désigner ce journalisme qui prend le temps d’aller gratter. Ce concept anglo-saxon que l’on pourrait traduire par „journalisme de récit” a servi de terreau fertile pour toute une génération de romanciers anglo-saxons. Mais Patrick de Saint-Exupéry ne manque pas de rappeler que cette approche remonte également aux fines plumes des reporters francophones: „Nous renouons avec une certaine tradition portée par Joseph Kessel ou encore Albert Londres.” A côté d’articles conventionnels, le magazine développe aussi le récit graphique sous la forme de BD-reportage. Il ne s’agit cependant pas de laisser libre cours à la fiction: „Le travail du journaliste est de raconter des histoires vraies, il se décline sous cette formule: Je suis allé, j’ai vu, j’ai rapporté.” Le Jules César du journalisme rappelle également que si „l’hyperobjectivité n’existe pas”, le journaliste doit porter un regard qui se distancie de la fiction: „Lorsqu’on raconte, on choisit. Il faut assumer ce choix comme une vérité que l’on défend.”

Diffusion et support. La revue est également un bel objet. Bien relié, format italien, „XXI” se range plutôt du côté de la bibliothèque que sur la pile des journaux. Le magazine se présente sous la forme d’un beau livre, et pour cause: on ne le trouve pas en kiosque mais en librairie. Son éditeur justifie ce choix original: „On a voulu être cohérent jusqu’au bout. En nous adressant à des lecteurs, c’est tout naturellement que nous avons décidé d’utiliser les libraires comme canal de distribution. Même si cela nous coûte plus cher en TVA, cette approche nous semble en parfaite adéquation avec notre concept.” „XXI” ne renie pas les nouvelles technologies pour autant. Le magazine est également présent sur la toile grâce à un blog. „Il ne nous rapporte rien, c’est le papier qui nous fait vivre”, explique de Saint-Exupéry, „le blog assure un lien avec le temps de l’actualité et permet de mieux faire connaître la revue papier.”

Financement. 210 pages reliées et imprimées en couleur, cela a évidemment un prix: „XXI” est plus cher qu’une revue, mais moins qu’un livre du même format. Le fait est d’autant plus marquant qu’on n’y trouve pas l’ombre d’une publicité. Non pas que son rédacteur en chef soit un ayatollah anti-pub: „On s’est rendu compte que dans le modèle de journal qu’on voulait développer, il n’y aurait pas de rubrique ‚consommation’ ou ‚voyage’ qui sont de véritables aspirateurs à annonceurs. On n’aurait pas pu tabler sur de grandes rentrées publicitaires. On a alors choisi de faire confiance à ceux qui nous font vivre et pour qui on écrit: nos lecteurs.”

www.leblogde21.com
Magazine trimestriel vendu en librairie, 210 pages, CHF 24.90.—


„Books”, un magazine passeur d’idées
Genèse. C’est à l’instigation de son directeur de publication, Olivier Postel-Vinay que le magazine „Books” a vu le jour. Le journaliste n’en est pas à son coup d’essai. Sous sa férule, s’est développé un journal qui marche fort depuis les années 1990: le „Courrier international”. Le format et le support de „Books” n’est pas sans rappeler ce magazine, d’ailleurs: grand, imprimé en couleur, articles traduits en provenance des quatre coins du globe.

Concept. Tout comme „XXI”, „Books” a fait le pari de la longueur et de l’exigence intellectuelle. Le magazine ne propose cependant pas des reportages ou des enquêtes de terrain mais des recensions de bouquins: „Nous nous efforçons d’éclairer l’actualité à travers des livres parus dans le monde entier”, nous explique Olivier Postel-Vinay. Si c’est un regard d’intellectuel porté sur le monde des idées que propose le magazine „Books”, pas besoin de posséder un titre universitaire pour se lancer dans sa lecture: „Nous sommes avant tout un magazine”, rappelle son créateur, „nous nous efforçons de nous adresser à un large public de curieux. Beaucoup lu par les étudiants, „Books” surfe également sur la vague du „papy-boom”. Les articles sont le plus souvent des traductions des prestigieuses revues littéraires anglo-saxonnes telles la „New-York Review of Books” ou le „Times Litterary Supplement”, mais les titres italiens, espagnols ou allemands ne sont pas en reste. Ces traductions sont souvent réunies pour former des dossiers complétés avec de plus petits articles, souvent des entretiens effectués par le magazine auprès de chercheurs ou de penseurs francophones. Olivier Postel-Vinay insiste: „Le concept de ‚Books’ n’est pas directement importé des Etats-Unis. Il s’agit d’un nouveau modèle, hybride, qui se situe entre le ‚Courrier international’ et les revues américaines.” Son nom anglophone est entièrement assumé par son créateur: „Il se mémorise facilement tout en étant international.”

Support. „Books” est un magazine doté d’un site Internet assez étonnant: on y trouve bien sûr certains articles de la revue et quelques „bonus” (entretiens filmés et documents radiophoniques liés à des articles parus sur papier) mais aussi des rubriques propres au site. Le magazine dispose ainsi de forums de discussion et d’un „Wikigrill” qui passe à la loupe les articles controversés de Wikipedia en lien avec les thématiques abordées dans les différents numéros. On y trouve également des chroniques et des éditos de différents invités. Pour Olivier Postel-Vinay, „Books” doit jouer sur les deux tableaux: „Pour l’instant, notre site permet de développer avec nos lecteurs les controverses que nous abordons sur papier et de susciter des abonnements. A terme, on ne sait qui de la toile ou du papier va l’emporter. Même si j’aimerais pouvoir affirmer que nous avons un avenir sur le papier, je ne dois pas exclure que le web l’emportera définitivement.”

Financement. Pour financer la revue, pas besoin de réinventer la poudre, „notre modèle est très classique” nous assure son directeur, „il repose sur trois axes: nos ventes, nos abonnements et la publicité”. Le capital de départ a été constitué par Olivier Postel-Vinay ainsi que „des chefs d’entreprise de taille moyenne qui ont investi à titre personnel” peut-on apprendre sur le site de „Books”. Olivier Postel-Vinay s’empresse d’ajouter: „Si aucun grand groupe ne nous contrôle, les investisseurs que j’ai contactés ne font pas dans le mécénat pour autant. Ils attendent un retour sur investissement.” C’est toutefois bien le directeur de publication qui détient le contrôle de l’entreprise et en assume les choix structuraux et éditoriaux.

www.books.google.fr
Magazine mensuel vendu en kiosque, 71 pages, CHF 10.—

Guillaume Henchoz est journaliste libre.

© EDITO 2009


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